Témoignage: A la recherche de soi
L’ichtyose, le fait de l’écrire me mets mal à l’aise, j’ai jamais été
tranquille avec ce mot et avec ce qu’il représente. C’est un mot un peu
barbare, aux sonorités étranges, agressives un peu, un mot qui parait
un peu vide comme ça. « Maman, qu’est ce qu’elle a la dame ? » ce matin
dans le métro, qu’est ce que je devais répondre ? Une ichtyose ? Et
puis d’abord, c’est quoi une ichtyose ?
C’est d’abord une apparence, un physique. Au départ, quand on est
petit, c’est pas très beau à voir, on dirait que le corps est fait
d’une cicatrice géante, la peau est tirée de partout, des plaques plus
ou moins foncé sur les membres, ça fait même mal quand on voit des
photos de quand on était bébé. Au primaire, c’est plaques marron sur le
visage, les bras et les jambes et quand on les arrache ça devient rouge
et ça fait mal. C’est aussi les mains et les pieds qui pèlent
énormément, des choses qui rassurent pas les autres enfants, qui
amènent des surnoms « poisson piquant »… C’est vrai que la peau ça
ressemble plus à des écailles qu’à de la peau quand on compare et puis
ces taches marron sur les bras et les jambes ça fait même un peu girafe
si on regarde bien. Et puis cet espoir secret, irraisonné, que si on
arrache bien toute la peau, quand elle repoussera elle sera normale.
Alors on arrache, en dessous c’est tout rouge et ça brûle, et après ça
repousse pareil, et les parents se sentent coupables, un peu plus
chaque jour. Et ça gratte aussi, terriblement, tout le temps, « arrête
de te gratter !! » tout le temps aussi. Mais comment s’arrêter quand
c’est tout le corps qui brûle ? On peut pas, on le fait en cachette
pour que les parents culpabilisent pas un peu plus encore. D’ailleurs
on évite carrément d’en parler, les « si je pouvais je prendrais la
maladie à ta place » ça met mal à l’aise, et puis on en demande pas
autant, on en veux à personne en fait, c’est comme ça et c’est tout,
personne n’y peut rien. Même avec sa sœur qui elle aussi a une ichtyose
on en parle pas, c’est un secret. Sauf pour le dermatologue, lui on
dirait qu’il sait et puis il se sent pas coupable lui, c’est plus
facile. Mais y a aussi les prises de sang pour suivre l’évolution du
traitement, la peur panique des prises de sang, de l’aiguille et tous
les mois la même question : si on arrête pas de me prendre du sang,
comment je vais faire quand j’en aurais plus ? Personne pour
m’expliquer que le sang ça se refait tout seul. Et toujours la peau qui
pèle, la peau qui tombe, sur tout le corps, tout le temps,
inconsciemment l’impression de s’éparpiller un peu plus tous les jours.
L’’obligation de secouer ses draps tous les matins, de se passer un
peigne anti-poux dans les cheveux pour enlever les petits bouts de peau
jusqu’à en avoir le crâne à vif, de suivre un traitement, de se mettre
de la crème matin et soir et même à l’école souvent, d’essayer encore
et toujours de nouveaux shampoings traitants qui attaquent le cuir
chevelu, de nouvelles crèmes encore plus grasses, et puis un beau jour
découvrir les mots « effets secondaires ».
Au collège on prend de plus en plus conscience de son apparence
physique, la première chose que les autres voient. Se faire traiter de
lépreuse, rester interdite devant la violence dans cette voix et bien
plus tard en pleurer, doucement.
Et puis aussi se faire accepter et s’accepter soi-même, un peu. Et
toujours cette peau qui tombe à chaque seconde, les gens qui disent «
et ben ça se voit plus maintenant, c’est fini » et se sentir incomprise
profondément.
Le médicament qui agit tellement bien que frotter la peau la déchire et
met à vif et que les cheveux tombent. La maladie qui se voit de moins
en moins mais qui sera toujours là, ne pas arriver à ne plus voir que
ça, on regarde avec envie toutes les peaux normales, on compare même
sans y penser. On se met à vif la nuit parce qu’on se gratte en
dormant, on se réveille dégoutté par cette nouvelle marque, on en
pleure de rage. On choisit soigneusement ses habits le matin, pas en
fonction de la mode mais en fonction de ce qu’on veut pas montrer,
c'est-à-dire tout. On a l’impression d’être jugé à chaque nouveau
regard, on les évite. Et puis au lycée, la découverte de la pierre
ponce par ma sœur, se poncer tous les jours jusqu’à en être toute
rouge, se poncer désespérément et enfin montrer ses épaules. Commencer
à en parler avec ma sœur, mais les parents qui culpabilisent encore.
Découvrir que la contraception est obligatoire pour continuer le
traitement, que pour avoir un enfant il faut stopper le traitement deux
ans à l’avance… replonger, accepter, décider d’oublier, de faire
semblant. Mais toujours cette peau qui brûle, qui pique, qu’on voudrait
arracher. En prépa, réflexion du prof de français : « notre peau est
notre premier rapport au monde » … mais quel peut être le rapport au
monde de quelqu’un dont la peau meurt et renaît sans cesse ? de
quelqu’un qui s’effrite continuellement ? un rapport à vif.
Cam
J'en profite pour faire un petit coup de pub pour le blog de Cam où vous pourrez y trouver ses autres témoignages. Un blog magnifique qui parle de l'ichtyose, de la relation à la maladie, un regard touchant et très pertinent! Allez y faire un tour, vraiment...
Ça se passe par ici! Où par là, et à droite également, le lien se trouve dans la catégorie "La mare aux têtards". C'est fléché, vous ne pouvez pas vous trompez.